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Corrida : "La démocratie est bien à la peine !"
par Sarah George | dijOnscOpe | lun. 01 oct. 12 | 13:02
La mise à mort de la corrida est-elle simplement retardée ou au contraire, bien enterrée ?
C’est la question qui se pose en France suite à la décision prise le 21 septembre 2012 par le Conseil constitutionnel, d’autoriser sa poursuite. Les juges du Palais Royal ont estimé qu’il n’était pas anticonstitutionnel d’appliquer des différences entre les régions qui pratiquent la tauromachie et les autres. Les militants anti-corrida avaient sollicité une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), demandant que les sanctions infligées pour cruauté envers les animaux s’appliquent partout, contrairement à des dispositions de l'article 521-1 du Code pénal.
Cette nouvelle confrontation des pros et anti-corrida, qui donne l’avantage aux aficionados, n’a pas manqué de faire réagir. D’autant qu’elle survient après la récente inscription de la corrida au Patrimoine immatériel culturel français (PCI), comme une seconde estocade pour les militants des droits des animaux. Plus de 150 articles de presse auraient ainsi été publiés en France et en Europe suite à cette affaire d’après le Comité radicalement anti-corrida (CRAC Europe).
Le collectif, qui est bien décidé à poursuivre ses actions avec l’association Droits des animaux (DDA), dit également avoir reçu depuis plus de 150 nouvelles adhésions avec de nombreux dons. La plupart des gens se disant scandalisés par cette décision. De leur côté, les pro-corrida savourent ce qu’ils estiment être une victoire totale. L’Union des villes taurines de France (UVTF) et l'Observatoire national des cultures taurines (ONCT) parlent de "décision historique" (Lire ici LePoint.fr).
Tandis qu'une dizaine de Côte-d'oriens participeront à la grande manifestation nationale prévue à Paris le samedi 20 octobre, dijOnscOpe a rencontré Jean-Pierre Garrigues, vice-président du CRAC Europe, et Roland Essayan, militant côte-d’orien anti-corrida...
Trois questions à Jean-Pierre Garrigues, vice-président CRAC Europe
Jean-Pierre Garrigues, bonjour.
Peut-on dire que votre lutte pour l’abolition de la corrida en France est désormais perdue ?
"Non, nous avons encore plusieurs cartouches. Nous savons que pour faire changer une loi, une QPC n’est pas ce qu’il faut, c’est un recours exceptionnel. Elle est quand même arrivée devant les Sages, c'est le cas d'une sur dix seulement. Depuis mars 2011, plus de 2500 demandes ont été déposées, la nôtre était la 271ème à être examinée.
Cela a eu au moins le mérite de réveiller les médias et pas mal de citoyens. Plusieurs personnes nous ont dit être écœurées par la France et de ce qui s’y passe. L’indignation est telle que beaucoup se sont mobilisés à travers les réseaux sociaux. Brigitte Bardot qui avait plaidé notre cause avec le soutien de Belmondo et Delon avant cette décision, a également envoyé un courrier musclé aux "lâches" du Conseil constitutionnel (Lire ici NouvelObs.com).
Une grande manifestation aura aussi lieu au Palais Royal à Paris, le 20 octobre prochain. Nous nous trouverons à cette occasion à proximité du Conseil constitutionnel et des fenêtres du ministère de la Culture contre lequel nous sommes à nouveau opposés. Notre plainte commune avec l’association DDA vis-à-vis de l’inscription de la corrida au PCI a été réactivée au tribunal administratif de Paris.
Par ailleurs, nous savons que la voie royale pour changer une loi, c’est l’Assemblée nationale et les députés. Une cinquième proposition de loi va ainsi être soumise (ndlr : 4 autres propositions ont déjà été élaborées par la députée Geneviève Gaillard sans jamais avoir été mises à l’ordre du jour et donc examinées.) Seuls environ 10% de députés, soit 40 sur 577, défendent la corrida bec et ongle.
Depuis juin 2011, une proposition de loi est également déposée au Sénat par Roland Povinelli, élu des Bouches-du-Rhône (13). Nous nous donnons deux ans pour aller à la chasse aux signatures des députés et des sénateurs. Cette fois, nous attendrons d’avoir la majorité des signatures avant même d’entrer dans l’hémicycle. Du coup, la démocratie fonctionnera. Il y a des limites à se moquer du peuple et des institutions !
Vous attendiez-vous à cette décision de la part du Conseil constitutionnel ?
S’il avait fait ce qui lui était demandé, cela aurait été une belle surprise. Cela aurait permis de montrer qu’il est bien indépendant, mais on a pu constater que ce n’est définitivement pas le cas. Le Conseil constitutionnel est à l’image de la classe politique française. Ses représentants sont d’ailleurs nommés par elle. On fait face à une élite gangrenée par la dictature tauromachique.
Il faut savoir que Manuel Valls (ndlr : le ministre de l'Intérieur est familier des ferias) est intervenu le jour même où les sages examinaient notre QPC. Dans un journal du Sud de la France, il a récemment déclaré qu’il ferait tout pour bloquer les anti-corridas (Lire ici Midilibre.fr). Il a également envoyé deux mémoires écrits contre notre QPC. Dans le même temps, François Hollande nous envoyait un courrier daté du 10 septembre, dans lequel il stipulait qu’il resterait neutre.
Cette affaire est doublement grave dans le sens où on traite d’un sujet dur : la barbarie et d’un autre tout aussi important, à savoir : la démocratie, qui semble bien en peine !
Selon vous, il s'agit donc plus d'une décision politique que juridique ?
Absolument. D’autant que nous nous attendions avec nos avocats à une argumentation développée. De notre côté, nous sommes remontés jusque dans les archives des années 50-60. Ils nous ont simplement fait savoir que l’article concerné était conforme à la constitution. Le message était un peu :"circulez, il n’y a rien à voir." Ils multiplient les exceptions pour faire plaisir aux copains, en somme.
Nous demandions juste à ce que la démocratie soit appliquée ! Mais ce n’est pas possible en France. Nous sommes en dictature tauromachique. C’est quand même le seul pays au monde à avoir inscrit la corrida au PCI alors qu’il s’agit d’une tradition espagnole ! La démocratie existe dans les pays scandinaves. Ou même en Espagne, où la corrida a été abolie en Catalogne par référendum (voir ici).
Nous avons fait réaliser un sondage avec l’institut CSA qui date du 20 septembre dernier. 57% des Français sont favorables à l’interdiction de la corrida. Alors, c’est sûr, notre détracteur et les élus nous diront que ce n’est pas une large majorité mais lorsqu’ils sont eux-mêmes élus avec ce taux, ils parlent en revanche d’une grande victoire !
En réalité, nous en avons marre d’être pris pour des guignols. Parmi le nouveau gouvernement, nous savons qu’il y a au moins quatre ministres anti-corrida, Aurélie Filippetti, Christiane Taubira, Cécile Duflot et Marylise Lebranchu. Nous les avons sollicités pour notre QPC et aucune ne nous a répondu. Elles devaient avoir pour consigne de se taire. Nous sommes sans illusion sur la classe politique. L’abolition, nous allons l’obtenir malgré eux ! Nous, nous disons que la corrida sera finie dans cinq ans."
Trois questions à Roland Essayan, militant côte-d’orien anti-corrida :
Roland Essayan, bonjour. Comment avez-vous accueilli cette décision ?
"Je m’en doutais, je ne me faisais pas d’idées. J’ai choisi de militer contre la corrida car c’est un bon exemple de tout ce qui ne va pas dans notre société française. J’ai découvert plein de choses, c’est ni plus ni moins qu’une secte avec des fonds occultes et des lobbyings. C’est l’illusion de l’homme fort qui doit détruire l’altérité et le mal, incarné par le taureau.
En revanche, on s’attendait à ce qu’il y ait une argumentation, mais il n’y a pas eu de développement. Or, c’est aberrant et juridiquement cela ne tient pas ! Si on applique des exceptions culturelles, pourquoi ne pas accepter alors le port du voile, la polygamie ou les combats de pit-bull ?
Cela revient-il à dire qu’il faut supprimer toutes les traditions jugées inappropriées ? Et qui peut-il les déclarer comme telles si ce ne sont pas les Sages ?
On sait qu’au Conseil constitutionnel, il y a des personnalités politiques de parti pris pour la chasse ou autre. On rencontre beaucoup de barrières. Les propositions de loi sont bloquées au niveau parlementaire. Cela montre bien qu’en France, on est dans un système oligarchique.
Gandhi disait : "on peut juger de la grandeur d’une nation par la façon dont les animaux y sont traités." La corrida est une escroquerie de A à Z, on sélectionne les taureaux pour qu’ils ne soient pas combatifs. Beaucoup d’argent revient aussi aux fonds d’Etat français et européen autour des élevages de taureaux.
Chaque année, ce sont ainsi entre 600 et 1000 taureaux qui sont tués pour les corridas sur le territoire. Certains nous rétorquent que ce n’est pas grand chose face aux 10 000 vaches qui vont à l’abattoir. Mais ce n’est pas parce qu’il y a la faim en Afrique, que l’on ne doit pas s’occuper des SDF chez nous ! C’est un raisonnement stupide ! J’étais moi-même avec d’autres côte-d’oriens dans les arènes de Rodhilan lors du face à face avec les aficionados, il y a eu beaucoup de violence.
Quelle est la suite pour vous ?
Je vais participer avec une dizaine d’autres militants locaux à la prochaine manifestation à Paris. Nous aimerions également que nos députés régionaux prennent position. Quoi qu’il en soit, nous n’avons rien perdu. La situation reste la même. À ceci près que cela a ouvert les yeux à certains. Beaucoup de médias parisiens croyaient que la corrida n’existait plus en France !"